65 km à pied, ca use, ca use... (2/2)

25/03/2023

Deux jours de marche nous séparent encore de l'arrivée ! Nous enchaînons les kilomètres et aucune journée ne se ressemble sur la voix Lycienne...

Jour 4 - Alinca à Bel

17 kilomètres, 600m de dénivelé +, 7 heures

Dur, dur le réveil. Encore une nuit très froide dans la montagne et cette fois l'humidité a bien gagné la tente. Et pour couronner le tout, notre bouteille de gaz nous lâche, alors que nous faisions chauffer le café sur le réchaud. Ce sera café tiède pour ce matin et cuisine sur le feu pour les prochains repas ! Afin de ne pas nous laisser gagner par les mauvaises ondes, nous entamons le démontage de la tente sur le rythme de grands classiques de la chanson française. Un berger et ses deux filles passent pile à ce moment pour emmener leurs bêtes. Comment dire qu'ils ont dû nous prendre pour deux fous à nous déhancher sur des chansons de Balavoine dès le matin ! :p


Aujourd'hui, nous profitons du dénivelé moins important que la veille pour avancer au maximum, avec pour objectif 15 kilomètres minimum. La matinée nous fait parcourir des plateaux d'oliviers et leurs petits murets de pierres à perte de vue. Le sentier est souvent caillouteux, parfois carrément casse-gueule. Nous y croisons de nombreuses chèvres, qui elles gambadent sans le moindre mal ! Cette journée est aussi ponctuée de chouettes rencontres avec des bergers (hommes, mais aussi femmes) et habitants des petits villages de montagnes, travaillant dans leur champ. L'accueil est toujours chaleureux malgré la barrière de la langue. Nous faisons une pause ravitaillement dans une petite épicerie, comme la veille. Le monsieur nous offre quelques oranges avec un grand sourire édenté. L'ambiance est très rurale : les maisons sont faites de bric et de broc, les bêtes déambulent dans les villages et les lavabos sont souvent à l'extérieur dans la cour. Cela nous rappelle les hameaux perdus en Bosnie, et nous aimons toujours autant nous confronter à ces modes de vie qui nous font prendre conscience que notre confort est une chance.

 
Alors que nous espérions trouver une auberge pour déjeuner, nous sommes contraints de nous arrêter vers 13h. Il reste trop de kilomètres avant Bel, le prochain village, et les efforts ont bien creusé ma faim. Ma tête commence à tourner. Nous improvisons un petit pique-nique avec des fruits secs et du pain et repartons pour une bonne heure de marche, en espérant trouver un restaurant ouvert pour compléter ce repas gastronomique. La dernière ascension en plein soleil est difficile et nous puisons dans les dernières réserves, avançant dans un état un peu second. En mode économie d'énergie comme dit Valentin. Notre désespoir est au plus haut, quand en arrivant à Bel, nous trouvons un village désert... Nous le traversons, espérant trouver une porte ouverte et nous arrêtons devant l'une des dernières du village où est indiqué "Pension Fatma". 

Deux cabots furieux en sorte, en aboyant et fonçant droit sur Cassia. Nous les tenons à distance avec nos bâtons de marche et heureusement, un jeune homme accoure de la maison pour les récupérer. J'en profite pour lui demander s'il connaît un restaurant dans le village, et il m'indique que sa mère peut nous faire à manger ici même. Victoire, nous voilà installés au milieu du jardin de cette petite maison/auberge, avec les poules qui gambadent autour de nous. Le déjeuner est vraiment délicieux, se composant de Gozleme (crêpes turques) accompagnées de plusieurs mezzes : poireaux revenus dans de l'ail, ratatouille, épinards épices et à la crème, yaourt, crudités ainsi qu'un genre de pâte de fruits pour le dessert. Bien sûr, nous terminons par un Çaï et Fatma se joint à nous pour le partager. Elle improvise même une tisane pour Valentin avec un peu de sauge directement cueillie dans son jardin. 

Nous faisons connaissance avec quelques mots d'anglais et surtout beaucoup de signes, et en apprenons plus sur son activité d'auberge. Ici, l'hiver est très calme, la saison ne débutant réellement qu'à partir d'avril où elle reçoit de nombreux groupes de marcheurs. Elle nous raconte que son fils est étudiant à l'internat à Konya. Il a été rapatrié à la maison du fait des tremblements de terre, bien que cette ville n'ait pas été touchée. Nous comprenons que les internats ont dû être réquisitionnés pour loger les milliers de turcs qui ont perdu leurs logements.

Après cette bonne pause chez Fatma, nous sommes parfaitement revigorés pour poursuivre notre route. Nous marchons même plus que prévu, jusqu'à 17h, et finissons par nous trouver un nouveau bivouac de rêve à flanc de montagne. Une plateforme plate, près d'un puit servant sans doute à abreuver les troupeaux : inespéré dans cette descente abrupte couverte de pierres ! Il y a tout juste la place pour monter la tente à cet endroit. Ce soir, la vue sera grandiose car nous sommes isolés au milieu de la montagne sans aucune pollution lumineuse. Loin de pouvoir nous procrastiner, il est maintenant l'heure de penser au feu et nous nous mettons en quête de bois mort. Nous passons la soirée au coin du feu, qui nous sert de cuisinière pour cuire nos pâtes, le grand luxe. Nous voilà prêts pour Koh Lanta l'année prochaine 😉


Jour 5 - Bel à Letoon

15 kilomètres, 300m de dénivelé +, 6 heures

Dès le lever, nous réapprovisionnons le feu pour nous réchauffer… et faire chauffer l'indispensable café ! Alors que nous sommes en plein rangement du bivouac, nous recevons la visite de Kadir, un vieux berger que nous avions croisé la veille. Nous lui proposons quelques fruits secs, en échange de quoi il nous abonde de fruits. Les turcs semblent vouloir toujours surenchérir aux présents, avec un sacré entêtement ! Il passe l'heure suivante avec nous, à observer notre campement tandis que nous échangeons en langue des signes. Les bergers ont souvent une vie très solitaire dans ces régions et il nous apprend d'ailleurs qu'il n'a pas de femme ni d'enfants. Valentin lui montre le bout de ses chaussures complètement trouées, l'air interrogateur et il rigole en nous faisant le mime de marcher activement dans la montagne.

Nous lui faisons la démonstration de notre matériel de camping et il regarde dans la tente avec curiosité, impressionné par nos matelas et oreillers gonflables. Il nous fait tester fièrement ses jumelles, très utiles pour surveiller ses bêtes dans la montagne. Après quoi, Valentin lui fait essayer les siennes, et le voilà qui tente de négocier un échange. Voilà un berger qui ne perd pas le Nord ! Après un selfie souvenir tous ensemble, nous nous mettons en route. Et voilà que nous recroisons Kadir au bout du premier kilomètre. Il est très content de nous revoir et nous prenons de nouveau plusieurs photos pour immortaliser notre rencontre. Débordant d'affection, il nous fait de grandes poignées de main et des baisers sur les joues tandis que nous repartons, émus par cette rencontre touchante.

 Une fois la montagne descendue, nous traversons effectivement de beaux sentiers forestiers, plutôt plats. A ce stade, nous pensons encore pouvoir gagner la plage de Patara pour midi afin d'y déjeuner dans un restaurant. Mais la route fait bientôt place à un sentier "pour chèvres" tels que nous les avons baptisés sur les derniers jours (avec en commun d'être pierreux, pentus et de faire très mal aux chevilles). Nous enchaînons montées pénibles et descentes périlleuses, nous faisant craindre une chute avec la fatigue accumulée. Autant dire que le dernier jour est loin d'être aussi tranquille comme nous l'avions espéré !

 
Nous n'atteignons finalement le sommet qui surplombe la plage de Patara qu'aux alentours de 13h, pour découvrir cette immense plage de sable clair et ses dunes. Nous voilà dans les Landes ! Mais c'est surtout l'étendue infinie de serres qui nous saute aux yeux, drôle de contraste avec le reste du panorama. Nous apprendrons plus tard que la région est en effet le royaume de la culture de tomates et poivrons, de par son ensoleillement.

 
Nous croisons deux magnifiques tortues, semblant avoir été placées là pour donner un coup de pouce à notre moral sur les derniers kilomètres ! L'arrivée à Patara se fait sous un vent décoiffant. Nous sommes épuisés et affamés, mais tellement heureux d'avoir bouclé notre itinéraire ! La plage est très fréquentée en ce dimanche de beau temps et les familles turques affluent pour leur pique-nique dominical dans une ambiance décontractée. Quelques scooters nous klaxonnent pour nous saluer, certains avec toute la famille à bord (un enfant entre les parents et un bébé dans les bras, le tout sans casque bien sûr !). Cassia fait la folle dans le sable, nous prouvant qu'elle n'est pas du tout fatiguée par ces 5 jours de marche. Mais pas de relâchement : nous nous mettons en quête d'un restaurant ouvert et une nouvelle fois, nous faisons chou blanc. Notre dernier déjeuner sera donc une nouvelle fois un pique-nique, à base d'un reste de pâtes au thon de la veille qui fera bien l'affaire !

Le projet initial était de rentrer en taxi depuis Patara, mais force est de constater qu'il n'y a aucun taxi dans les parages. Nous décidons de marcher jusqu'à l'épicerie du prochain village pour demander s'ils ont un contact. Nous revoilà donc avec nos sacs pour quelques efforts supplémentaires. Nous traversons des quartiers entiers de serres auxquelles sont accolées les habitations des familles qui y travaillent. Les conditions sont sommaires, pas loin d'être comparables à un bidonville et nous devinons aux visages que beaucoup doivent être syriens. Nous observons les fenêtres cassées, toits en tôle, évier à l'extérieur, bêtes en liberté dans les habitations... C'est le week-end et des enfants de pas plus de 8 ans aident leur père dans les récoltes. Nous esquivons également plusieurs attaques de chiens errants, ce qui rend le parcours légèrement stressant. Arrivés à la supérette, personne ne semble connaître de taxi donc nous n'avons d'autres choix de poursuivre notre chemin vers Letoon, un site antique situé 6km plus loin. Cette distance vient s'ajouter aux 60 kilomètres déjà parcourus, ce qui est difficile mentalement, mais nous tenons bon et arrivons à Letoon vers 16h30.

Après avoir réfléchi à notre demande, le monsieur du guichet d'accueil nous propose d'appeler un contact pour la course, qui pourra être là dans 30min, et nous indique un prix. Il nous offre même des oranges en guise de goûter : nous sommes les plus heureux du monde. C'est à ce moment que nous faisons notre deuxième belle rencontre de la journée : un jeune homme nous aborde, voyant nos sacs à dos, et nous raconte qu'il a lui aussi fait cette portion de la Lycian Way. Il nous explique alors qu'il est réfugié Ukrainien, originaire de Kiev, et arrivé en Turquie depuis 1 an. Il nous apprend dans la plus grande neutralité que sa maison a été détruite par les bombardements. Il a dû fuir son pays alors que sa femme était enceinte, et est devenu papa d'un petit garçon né sur le sol turc il y a 8 mois. Je lui demande s'il a encore de la famille en Ukraine et il nous raconte que son frère est au front en Ukraine et que l'un de ses meilleurs amis est décédé, laissant derrière lui femme et enfant. Nous sommes abasourdis et peinons à réaliser l'horreur endurée par cet homme qui a visiblement notre âge. Le plus frappant est la manière dont il s'exprime sur les évènements, avec la plus grande simplicité et beaucoup de résignation. Cette conversation tournera longtemps dans nos têtes, légèrement sonnés par la brutalité de cette guerre, rendue encore plus réelle par ce triste témoignage.

Notre "taxi" arrive… et se révèle être la fille du monsieur de l'accueil ! Très sympa, la vingtaine, elle m'explique qu'elle travaille dans les exploitations de tomate en me montrant ses ongles noircis par la terre. C'est parti pour 1 heure de route à travers les mêmes montagnes que nous avons arpentées à pied pendant les 5 derniers jours. Nous prenons conscience que nous devons empester le bouc et avons un peu honte. La pauvre a sans doute dû rester en apnée pendant toute la route ! En lui disant au revoir, je la complimente sur sa conduite et la vois rougir de la flatterie. Elle me répond qu'elle ne détient son permis depuis seulement cinq ans, mais que c'est pour elle une vraie passion.

Nous revoilà au point zéro, à Oludeniz, au pied de Mammouth qui semble sain et sauf : le bonheur ! Épuisés par toutes les émotions de la journée (et accessoirement l'effort physique des derniers jours), nous décidons de nous récompenser comme il se doit... Avec une belle pizza et une bière pour fêter cette aventure inoubliable que furent nos 5 jours sur la Voix Lycienne !

Ce sera un article plus succinct cette fois : nous sommes rentrés en France depuis le 28 juin et manquons de temps pour nous consacrer à la rédaction 😉 Voici quand même quelques lignes sur nos aventures dans le sud de l'Italie, après notre arrivée en ferry le 4 juin dernier.

Nous avons compté les jours, ces derniers temps… Et arrive enfin le 26 mai, date de retrouvailles avec mes deux copains Dorian et Fraga. Ils viennent de France pour passer 5 jours avec nous en Albanie, en vadrouille dans Mammouth ! Une escale à Bari et surtout un retard d'avion plus tard, les voilà arrivés à l'aéroport de Tirana !!!...

Après avoir bien profité du sud de l'Albanie et son ensoleillement, nous mettons cap vers le nord et ses montagnes ! Le mercredi 17 mai, nous arrivons dans la ville de Shkodër, à la frontière du Monténégro, qui nous servira de base pour garer Mammouth le temps d'explorer cette région. Et oui, par ici les routes ne sont pas DU...

juin 06

Bunkerland

Les kilomètres se sont vite enchaînés depuis notre départ de la Turquie le 22 Avril ! Après avoir traversé le nord de la Grèce, nous avons gagné la célèbre région des Météores à la découverte des monastères perchés en haut des montagnes. Mais – chats noirs oblige – une panne de notre disque dur nous a fait perdre toutes les photos...