Elle nous a fait tourner la tête !

23/04/2023

Après plus d'un mois à sillonner la côte, nous nous enfonçons enfin dans les terres de la Turquie à la découverte de la région d'Anatolie centrale. Un nom qui nous évoque déjà les steppes arides bordées de montagnes, traversées de l'ancienne route de la Soie, un climat rude et berceau d'anciennes civilisations islamiques. Prometteur, non ?

La route n'en finit plus de grimper tandis que nous atteignons les 1800 mètres d'altitude. Les paysages changent évoluent rapidement et la douceur du climat méditerranéen fait place à… la NEIGE ! C'est un nouveau dépaysement à mesure que le paysage défile sous nos yeux : un village à la mosquée enneigée, les Renault 9 sous une épaisse couche blanche, et même un dromadaire qui ne doit pas avoir très chaud (On vous rassure tout de suite, il s'agissait d'une statue !).

Une nuit plus tard et après nous être battu avec notre chauffage qui a décidé de faire des siennes pile le jour où il fait -2 degrés, nous poursuivons la route vers la grande ville de Konya dont nous attendons la visite avec impatience. Ville très ancienne, elle serait la première cité fondée par Noé après le grand déluge. Elle fut aussi ancienne capitale du sultanat au XIIe siècle, avec un important rayonnement artistique et religieux au Moyen-Orient et dans les Balkans. Le poète Rumi y vécut et fonda l'ordre des Mevlevi, un courant soufiste connu pour ses derviches tourneurs qui utilisait la danse pour se rapprocher de Dieu. Aujourd'hui Konya et ses 2 millions d'habitants est aussi réputée pour être l'une des villes les plus conservatrices de la Turquie de l'Ouest.

Nous sommes chanceux car la « semâ », la représentation de danse des derviches se tient le soir même au centre Mevlana. Rien de mieux pour plonger dans l'ambiance de Konya et cette culture méconnue. La cérémonie dure une heure et est tout simplement envoûtante. Nous sommes transportés par la musique et les chants, sublimés du mouvement incessant de la vingtaine de derviches en transe, tournant rapidement sur eux-mêmes dans une chorégraphie hypnotique. Leur shaik (maître spirituel) défile dans les rangs, corrigeant leur mouvement d'un signe de la tête et nous sommes surpris de découvrir deux très jeunes garçons parmi les danseurs. Mais le plus beau spectacle se lit sur leur visage : une expression touchante de total abandon à mesure qu'ils entrent en connexion selon leurs croyances. Nous pouvons dire qu'à peine arrivés, Konya nous fait déjà tourner la tête !

On s'est fait satelliser ! 

Nous débutons le dimanche avec un copieux kavalthi (petit-déjeuner turc) en compagnie de Zoé et Yarkov, les voyageurs à vélo « Ride between the lines » que nous avions vu à Antalya, ainsi que Dylan un canadien globe-trotteur qu'ils ont rencontré dans leur auberge. L'après-midi se poursuit avec la visite du centre culturel de Konya où est exposé le travail de divers artisans et où nos amis veulent assister à leur tour à une cérémonie de Derviches tourneurs. Nous tombons par hasard sur une peintre utilisant un procédé traditionnel appelé Ebru. Très étonnant, il consiste à déposer des gouttes de peinture à l'huile sur une surface d'eau avant de les étirer puis de les transférer sur du papier.

Val n'est pas dans son assiette depuis le réveil et rentre se reposer. N'aurait-il pas attrapé un petit covid turc ? En tout cas, tous les symptômes sont là… Je me lance donc seule dans la découverte du centre-ville et de son Grand Bazar. 2500 échoppes sont reparties sur une quarantaine de rues et fourmillent d'articles et d'animations. Loin d'être un désordre chaotique, l'endroit est très bien organisé par quartiers. Je traverse ainsi la zone des foulards, des nappes, des chaussures, des ferronniers, et même des articles de jardinage ! Mon regard est sans cesse capté par les multiples curiosités et trésors que l'on y trouve. Une ambiance très locale et pas du tout touristique dans laquelle j'aurais pu me perdre pendant des heures !

La pluie se fait plus intense et j'accélère le pas tout en admirant les trésors d'architecture de la ville apparaissant à chaque coin de rue. Je finis par me me réfugier au musée d'ethnographie Sahip Ata pour admirer l'art de la calligraphie, de la céramique, du tissage de tapis orientaux ainsi que la sculpture sur bois. Ma visite s'étire un peu car je tente de traduire avec mon téléphone les explications qui sont seulement disponibles en turc. Cela a pour conséquence de me rendre suspecte aux yeux du gardien des lieux, qui me suit à la semelle dans absolument toutes les pièces. Mince, c'est raté pour repartir avec un beau tapis ! La dernière pièce est une véritable surprise : la sépulture d'un grand vizir somptueusement décorée de céramique turquoise.

Le lendemain, le soleil est revenu et Val a un peu repris du poil de la bête… Nous en profitons pour nous rendre au musée et mausolée Mevlana, ancien lieu de vie des derviches où se trouve la sépulture du poéte Rami. L'intérieur est richement décoré, nous constatons immédiatement que le tombeau est un important lieu spirituel devant tous les pèlerins qui s'y pressent. Des reliques ayant appartenues à Rami sont exposées et nous observons les visiteurs prier et renifler par la vitre sans tout comprendre à ce cérémonial. 

Konya est la ville turque qui compte le plus de mosquées (Près de 3000 !), et nous partons à l'assaut des plus belles : Serafeddin, Alaeddin, Kapu, Aziziye, Selimiye… Déchaussée et les cheveux couverts d'un foulard, j'emprunte l'entrée réservée aux femmes, menant à leur petit espace, dissimulé derrière des paravents ou menant sur une mezzanine. 

Mais à deux reprises, je suis surprise d'être invitée par les imams à venir contempler la mosquée dans la zone principale normalement réservée aux hommes. Véritable laxisme religieux ou favoritisme du fait d'être touriste ? Je ne le sais pas vraiment ! Dans tous les cas, nous apprécions l'accueil chaleureux des maitres des lieux, qui nous proposent de nous faire visiter les magnifiques édifices, nous montrant les différentes zones et trésors anciens, sans pour autant tenter de nous tenir un discours religieux. 

Assis sur l'épaisse moquette, nous profitons de la sérénité ambiante et contemplons les quelques fidèles venus prier, lire dans les coins bibliothèque aménagés sur les côtés ou simplement discuter entre eux à voix basse. Une première expérience enrichissante dans l'intimité de l'islam, dont nous avons l'impression d'avoir découvert un visage différent.

La journée se termine de nouveau au Grand Bazar, dans lequel nous découvrons un grand marché couvert : c'est une véritable profusion de fruits et légumes, graines et fruits secs ! Alors que j'observe les fromages d'un œil critique (déformation anciennement professionnelle), je me fais alpaguer par un vendeur qui me propose de goûter le plus repoussant d'entre eux. Curieuse, je me lance et accepte le morceau de fromage entièrement bleui par la moisissure. Le bilan de la dégustation était prévisible et n'est pas concluant : texture friable, sel trop présent et surtout un goût qui ferait passer notre roquefort pour un fromage insipide.

C'est sur cette note disons puissante que nous concluons notre découverte de cette belle ville traditionnelle mais chaleureuse, attachante et authentique, mystique et frénétique… Konya nous aura bien fait tourner la tête !