Un nouvel an de pirates !

MYSTRA

Nous arrivons à Mystra le 29 décembre, pour une petite visite, avant de rejoindre la côte pour le réveillon du nouvel an. Située au pied du Mont Taygète, cette ancienne capitale Byzantine  était à la tête de toute la région au 13ème siècle. Un palais et 7 ensembles religieux (Eglises, couvent, monastères), tous bien restaurés, ponctuent la ville jusqu'à la forteresse, point culminant en haut de la colline. Nous parcourons les petites ruelles pavées et les escaliers escarpés en imaginant combien il devait être difficile de s'y déplacer avec des charrettes ou des animaux à l'époque. Cette construction particulièrement pentue devait jouer un vrai rôle de frontière entre la ville basse, et ses paysans, et la ville haute qui servait de haut lieu politique et stratégique. Les églises Byzantines et leurs fresques sont les plus belles que nous ayons eu l'occasion d'admirer, Grèce et Bulgarie confondues, en particulier celle du couvent de la Pantanassa et ses arches magnifiques. Le lieu est encore habité par des sœurs et de très nombreux chats !

Le soir, nous dormons dans la montagne près de l'entrée du site et repérons une auberge-restaurant à quelques centaines de mètres en contrebas. Nous y dînons, malheureusement un repas plutôt médiocre, puis repartons sur la route non éclairée, munis de notre lampe frontale. Quelques mètres plus loin, Valentin m'arrête et dit avoir repéré 2 yeux dans les arbres, qu'il pense appartenir à une chouette. Nous éclairons les pins et distinguons 2 petites oreilles et une queue très touffue... Ce n'est pas non plus un chat, mais une belle martre qui ne s'attendait pas à nous voir, sortis de nulle part dans la nuit !

PIRGOS DIROU ET LIMENI

Il est maintenant temps de partir vers le Magne, cette région que beaucoup de voyageurs surnomment le « deuxième doigt », au sud-ouest du Péloponnèse. La chaîne du Taygète le traverse en son centre, il faut se préparer à quelques sueurs froides sur les petites routes qui serpentent à travers la montagne. Mais la découverte des falaises dominant la mer, de ses criques et petits villages en pierre, encore préservés du tourisme, vaut vraiment ces quelques détours et virages en épingles ! C'est jusqu'à présent la région que nous avons préférée dans notre tour du pays, malgré que nous n'ayons vu qu'un petit échantillon de celle-ci.

Nous avons prévu de rejoindre un groupe de voyageurs francophones à la plage de Pirgos Dirou, à partir du 30 décembre. A notre arrivée, nous sommes accueillis par une joyeuse bande d'enfants, qui s'empressent de nous faire les présentations de chaque camping-car et ses habitants : des familles françaises, suisses et belges. Fiers d'eux, ils nous montrent le four artisanal qu'ils ont construit à partir de pierres et de terre argileuse afin d'y faire cuire des gâteaux et pizzas pour la soirée. Le plus grand doit avoir seulement 10 ans et nous sommes bluffés de constater l'autonomie et la facilité de contact de ces enfants, tandis que nous les voyons se lancer seuls dans la préparation d'un gâteau. Le soir, nous cuisinons une ratatouille à plusieurs mains entre les familles et passons une belle soirée autour du feu. Les Suisses ont même prévu des cubis de vin chaud, ce qui n'est pas pour nous déplaire, car la nuit, les températures redescendent vite ! Tout le monde partage ses astuces et ses galères sur les routes et il est rassurant de voir que même les voyageurs équipés de camping-cars plus récents ont des pépins (Un frigo qui ne fonctionne plus, une porte principale qui ne se ferme plus...). Nous nous sentons moins seuls dans notre tour d'Europe des garages ! Chaque famille a un itinéraire différent, même si la plupart reviennent de Turquie et sont partis au début de l'été pour correspondre à l'année scolaire. Les parents font l'école à la maison le matin, ce qui ne semble pas toujours évident d'après leurs témoignages...

Le lendemain de cette belle soirée, nos compagnons décident de poursuivre leur chemin vers le sud du Magne, ce qui n'est pas vraiment notre route. Nous hésitons à les suivre puis décidons plutôt de rejoindre d'autres familles françaises sur la côte Est, près de Gythio. Mais avant de nous mettre en route pour le réveillon, nous partons randonner jusqu'au village de Limeni, situé de l'autre côté de la montagne. Nous découvrons vite que le chemin n'est absolument pas balisé, comme souvent en Grèce, et nous retrouvons à traverser des enclos de vaches, légèrement inquiets de se faire charger par un taureau. Nous escaladons des murets et nous frayons un chemin dans la végétation abondante et souvent piquante. A ce stade nous hésitons sérieusement à faire demi-tour. 

Mais finalement nous débouchons sur un chemin plus aéré et l'arrivée sur la baie de Limeni et son eau turquoise nous fait vite oublier ces désagréments. Nous déjeunons dans le seul restaurant du village ouvert à cette saison, sur une table qui n'aurait pas pu être plus en bord de mer ! La carte propose essentiellement du poisson frais au kilo (vendu au prix touriste malheureusement) et nous assistons effectivement en direct à l'évidage du poisson directement sur les marches qui bordent le port. Pour nous, ce sera quelques mezzes et du calamar frit, et l'on se régale de ce dernier repas de 2022 au soleil !

GYTHIO

En fin de journée, nous prenons la direction de la grande plage de sable de Valtaki près de Gythio, aussi appelée « plage du Dimitrios » du nom de la célèbre épave occupant son rivage depuis 1981. Un pécheur grec nous expliquera le lendemain l'histoire de ce navire, qui servait pour la contrebande de cigarettes. Pour éviter de se faire prendre, et faire disparaître toute trace de leur trafic, l'équipage y aurait mis feu avant qu'il ne s'échoue sur la plage. A notre arrivée, nous trouvons d'ailleurs tous nos acolytes en pleine contemplation aux pieds de l'impressionnante épave de plus de 60 mètres de long. Ils sont 3 familles, un couple de retraités et Cyril, un jeune en vélo qui les a rejoints juste avant notre arrivée, après avoir fait connaissance sur la plage. Le soir, nous formons une grande table au milieu de notre campement et partageons toasts apéros, bouteilles et préparations pour ce petit réveillon improvisé. Bien sûr, nous terminons la soirée autour d'un feu, que les hommes préparent et alimentent avec professionnalisme. A minuit, nous avons même la chance d'entrevoir le feu d'artifice de Gythio depuis notre plage.

Il fait un temps idyllique pour notre première journée de 2023, quelle chance ! Nous profitons du soleil sur la plage avant de partir, tels des pirates, à l'abordage de l'intrigante carcasse du Dimitrios qui nous nargue depuis notre arrivée. Valentin et Cyril partent en repérage devant, et parviennent vite sur le ponton en passant par l'échelle, à l'intérieur du bateau. Anaick et moi les rejoignons et constatons que le sol est tellement rouillé qu'il s'est effrité par endroit, laissant apparaître des trous béants dans le plancher. Nous nous appliquons à marcher uniquement sur les poutres en métal et parvenons à notre tour sur le ponton, mais nous retrouvons vite bloquées : il faut avoir de l'équilibre et être agile comme un singe pour aller plus loin. Les garçons, eux, sont déjà loin devant et escaladent le mat jusqu'à son sommet. Finalement, nous restons plus prudentes et redescendons pour immortaliser les 2 pirates fous depuis la plage !

Le soir venu, le vent se lève et nous avons de la peine pour Cyril qui est installé dans sa tente près de la plage. Nous l'invitons à prendre une douche chaude dans Mammouth (le luxe pour lui qui est plutôt habitué aux douches de plages depuis quelques mois) et partageons un bon couscous tous les trois. C'est l'occasion de faire plus ample connaissance et il nous raconte son projet à la fois courageux et fou : profiter d'une année de césure dans ses études de médecine pour parcourir l'Europe à vélo. Nous précisons que le vélo en question n'a pas d'assistance électrique, pèse plusieurs dizaines de kilos avec ses pochettes, et que Cyril emprunte les mêmes routes de montagne que nous ! Autant dire qu'il faut un mental d'acier et de sacrés mollets pour se lancer dans une telle aventure !

KARDAMILI

Après ces 2 jours hors du temps, c'est le moment de dire au revoir à cette belle plage et surtout ces chouettes rencontres, qui poursuivent tous leur route vers l'est, dans le sens opposé du nôtre. Mais nous savons que nous avons de grande chance de nous recroiser dans le nord de la Grèce ou en Turquie. Nous partons en direction du petit village de Kardamili, un peu plus haut sur la côte ouest du Magne où nous passons 2 jours de tranquillité dans une pure ambiance grecque. Nous sommes garés devant un minuscule port qui semble presque être notre port privatif, tellement les lieux sont déserts en cette saison. Le village est plein de charme, comme figé dans le temps avec ses vieilles tavernes, ses fleurs qui explosent de couleurs, ses arbres chargés de clémentines, et même un « bateau de Noël » encore dressé sur la place principale. Nous partons à la découverte de la veille Kardamili, sa tour et sa forteresse, et randonnons à travers des gorges non loin. Le cadre est vraiment exceptionnel entre la mer d'un bleu profond, les champs d'oliviers et la vue permanente sur la montagne en arrière-plan.

Sur le retour de notre balade, je m'arrête dans une ruelle pour photographier des agrumes, laissant Valentin partir devant. Alors que je passe devant une petite échoppe, un vieux monsieur m'interpelle, me demandant ce que je prends en photo. Puis, il m'invite fièrement à contempler son « arbre de Noël », qu'il a fabriqué avec diverses branches de fruitiers et d'oliviers. Il disparaît dans son magasin puis revient avec un petit bol de fruits d'arbousiers qu'il m'invite à goûter. Nous discutons en anglais et il me demande si l'homme, qui est passé quelques minutes avant avec un chien, est mon conjoint. J'acquiesce et il ajoute, en me fixant de son regard très sérieux : « C'est un homme bien. ». Apparemment, Valentin lui a fait bonne impression ! Nous pouvons donc considérer que nous avons la bénédiction d'un vieux sage grec pour poursuivre notre route ensemble, vers d'autres aventures !